Laboralys n°11 | Casses et castins, l'atelier d'un typographe

Le reportage de cette semaine nous entraîne dans l'atelier d'un typographe. Une petite pièce remplie d’histoire nous accueille et son artisan Yves Ingels se fait notre guide. On découvre d’abord un large meuble constitué de nombreux tiroirs larges et plats. Il s’agit des castins qui contiennent les pièces mobiles utilisées pour composer les mots et les phrases à imprimer. Les lettres sont soigneusement rangées dans les casses selon un arrangement immuable depuis des siècles et que le typographe doit connaître parfaitement afin d’assurer la rapidité des opérations et d’éviter les coquilles éventuelles. Ces pièces sont constituées d’un alliage de cuivre, d’étain et d’antimoine afin d’en assurer la solidité face à l’épreuve du temps et de la presse qui y exerce une pression élevée et répétée. Le typographe utilise un composteur pour assembler les lettres et réaliser la composition qui sera plus tard imprimée.



C’est donc dans le composteur que l’on assure un espacement constant entre les mots, entre les lignes, et que l’on vérifie la justification des phrases entre elles. C’est véritablement la zone de création du typographe. A cet effet, on utilise une mesure typographique qui donne son nom par extension à une pièce essentielle : le cicéro. Cette unité fut instaurée au XVIIIième Siècle et correspond à 12 points Didot, soit environs 4,512 mm. A l'origine, la taille ou corps typographique des caractères, n'était pas définie en points comme aujourd'hui, mais par des noms désignant chaque format. Cicero, d'après l'auteur latin Cicéron, représentait le corps habituel de l'édition de textes.

Lorsque le composteur est prêt et que la composition est dénuée de coquilles, ce qui oblige le typographe à savoir lire à l’envers, il emboîte le tout dans un plateau qui sera placé sur la presse d’imprimerie. La presse de Yves Ingels date des années 1970 et est de marque Heidebelberg en référence à la ville Allemande où elle a été manufacturée. Un bouton est pressé et les rouleaux se mettent en rotation. L’encre se répand sur les surfaces lisses, l’aspiration du papier le mène nous la presse et une pression applique l’écriture, le tout dans un mouvement mécanique complexe.

Le métier de typographe est malheureusement en voie d'extinction. Le numérique et le digital prennent la relève et permettent au particulier d'imprimer en un tour de main. Yves Ingels fait donc partie du dernier bastion de résistants qui passionnément composent et impriment à la façon de Gutemberg. Il y a une grande poésie dans cette pratique et l’atelier de Yves Ingels constitue un havre de paix au milieu d’un monde pressé.


Reportage publié le 26 décembre 2011.