Laboralys n°23 | Carsid, une mort programmée



Il errait, solitaire, dans les espaces déserts de son usine, le casque vissé sur le crâne, un autocollant rouge bien en vue, comme un étendard, comme une appartenance à un hypothétique clan de la dernière chance. Un frêle rempart devant l'inévitable, un combat perdu d'avance et qui le dépasse. Des braises encore chaudes crachent leur dernier souffle de chaleur devant l'entrée du cimetière industriel. Des palettes calcinées racontent une histoire triste. Des fumées de colère s'élèvent dans un ciel rouge. Le parvis de l'usine ne connaîtra plus son tumulte humain et comme une gangrène qui achève son oeuvre, les derniers pans d'un certain savoir-faire vont disparaître sous les assauts de la concurrence.

L'homme déambule seul, dernière âme qui vive au milieu d'un plan de licenciement qui achève d'égrainer les mille employés, un à un, minutieusement, répertoriés par classes d'âges et d'expériences, affublés d'une prime ou d'un repos forcé. Toute cette énergie gaspillée, dilapidée, diluée dans la masse grouillante des consommateurs au pouvoir d'achat entretenu. La perspective d'une retraite dorée pour faire oublier la perte de sens et le changement de valeurs.

Et pourtant, à l'instar d'un signal rémanent, il s'échappe de cette usine une énergie humaine sonore, comme en suspension dans l'air, contrastant avec le désert qu'il est devenu. L'activité fébrile, la chaleur diabolique, la haute technicité, il est impossible de rester insensible à la mort programmée d'un monstre industriel. On se met alors à espérer que des cendres sortent de nouvelles pousses d'optimisme soutenues par l'audace et la volonté de fer d'une poignée d'irréductibles. Des hommes et des femmes doués de leurs savoirs, hérités d'une tradition multi-générationnelle, entendront l'appel à la différenciation, à l'innovation et à la qualité, qui sont les clés de la compétitivité. Car bien plus qu'un combat perdu d'avance sur les prix, nous devons nous démarquer par l'audace, l'inventivité et l'amour du travail bien fait, fondements d'une réindustrialisation en harmonie avec une globalisation inévitable.




Reportage publié le 28 décembre 2012.