Laboralys n°24 | Entrepreneuriat et implication collective



Une fois n'est pas coutume. Le reportage photographique de cette fois ne comprendra aucune photographie. Aussi étrange et absurde que cela puisse paraître, c'est ma façon de témoigner ma compassion à l'égard des personnes concernées par l'annonce du 28 février actant le licenciement de 1.400 employés de Caterpillar, à Gosselies. Ceci fait monter les enchères à 15.000 pertes d'emplois en Belgique depuis cinq mois (Sources: Le Monde 28/2), avec son lot de fermetures d'usines.

Combien de licenciements massifs faudra-t-il encore pour que notre société connaisse un sursaut de conscience ? Combien de fermetures d'usines faudra-t-il encore pour que nous osions reprendre notre destin en main ? La génération des Trente Glorieuses semble si loin...

Les arguments qui furent évoqués pour expliquer le licenciement de ces 1.400 employés me rappellent d'une certaine manière une page ancienne de notre histoire Européenne. Au XIIIième Siècle, le péril Mongol sonnait comme redoutable. Une véritable peur de ces peuples dits sauvages, sans foi ni loi, faisait fureur dans l'imaginaire populaire. On craignait le déferlement des armées de Genghis Khan sur les villes d'une Europe aisée. C'est pourtant aux portes de Vienne que cette marée s'arrêta tandis que des voyageurs tels que Carpin relativisèrent fortement les lieux communs colportés par une contagion à la mode. Porter en étendard le péril jaune comme explication à une restructuration permet de couper court à une analyse plus poussée. Les décisions stratégiques qu'a un groupe international de licencier du personnel vont bien au-delà et les infléchir tient malheureusement de la gageure. Selon moi, le salut ne réside donc pas uniquement dans la négociation d'un plan de licenciement équilibré (comme on l'entend souvent), mais surtout dans une réflexion approfondie sur la façon de redonner du sens au travail afin de permettre à chacun d'exprimer au mieux son talent. C'est dépasser le deuil et se battre pour élever au plus haut rang notre riche histoire industrielle lourde de sens.

Mais avant une crise économique, ne vivons-nous pas une crise culturelle de plein fouet ? N'est-il pas temps de repenser les valeurs de notre société ? N'est-il pas temps d'insuffler une véritable conscience collective, tranchant avec un individualisme galopant, afin que chacun d'entre nous prenne possession des événements qui touchent l'ensemble de la société ? Car d'une certaine manière, nous sommes chacun d'entre nous un peu complice de cette fameuse course au "low cost". Investir dans les énergies humaines et compétences de notre vivier, favoriser sur le long terme l'éclosion de nouvelles idées et de nouvelles forces, incuber et oser l'esprit d'entrepreneuriat, rendre aux métiers manuels leur noblesse d'antan, remettre l'artisanat à l'honneur, voilà quelques pistes qu'il faut accentuer, fortifier et défendre.

Je rêve parfois que ces innombrables employés licenciés s'unissent aussitôt pour créer une nouvelle activité industrielle, ou pour le moins, qu'une poignée d'entre eux rejoigne les rangs de l'artisanat et de l'entrepreneuriat de proximité, forts de leurs compétences inestimables et volonté de défendre une certaine vision idéaliste du développement. Cette défense de nos savoirs serait portée par la collectivité dans un esprit d'ouverture à la création de valeur, en favorisant la qualité et le développement local. En choisissant l'artisan à la grande distribution, nous nous faisons les alliés d'un développement plus vertueux, nous supportons la création d'emplois et l'enrichissement de nos savoirs. Quand viendra donc le grand sursaut de conscience et de positivisme sur nos capacités d'inventivité industrielle ? Quand viendra donc le grand sursaut de conscience sur l'importance de notre implication collective dans la destinée de notre économie ?




Article publié le 2 mars 2013.