Laboralys n°25 | Le forgeron et le sabre Japonais



C'est à l'invitation du maître verrier Gzregoz Gurgul, dont nous avons déjà parlé dans le numéro 17 de Laboralys, que j'ai eu le plaisir de retrouver son atelier fascinant. Niché au centre du village de Saint-Gérard, construit comme une extension d'une très ancienne bâtisse, il plane dans l'antre de l'artisan une atmosphère particulière, détachée du monde et de son tumulte. Le temps semble être resté à la porte de l'atelier et le don exceptionnel de Grzegorz à conter son art accentue encore ma joie de le revoir.

Mais le plus surprenant est que je visite un maître verrier qui va cette fois me parler de soudage et de forgeage de l'acier damassé. Car notre artisan a plus d'une corde à son arc. A côté d'une maîtrise reconnue dans la confection de dalles de verre, Grzegorz a également appris l'art de la forge grâce aux enseignements d'un serrurier lorsqu'il était encore résident à Strasbourg. Son apprentissage le prépara tout particulièrement à la coutellerie, ou confection des lames, et plus étonnant encore, à la fabrication des sabres selon la tradition Japonaise. C'est fasciné que j'assistai à la démonstration du forgeron.

La forge à charbon avec ventilation électrique a été construite intégralement par l'artisan. Les outils qu'il utilise également. Il n'y a que la marteau-pilon (ou martinet), mastodonte occupant le centre de l'atelier, qu'il a récupéré d'un ancien forgeron, ainsi que la massive enclume qui trône aux côtés de la forge. Son cousin, le marteau, me fait toujours penser à la charge symbolique dont il a hérité en représentant le travail manuel et le prolétariat à l'époque de la révolution industrielle.

Les flammes rougeoyantes couvrent les murs d'une tapisserie de feu tandis qu'une chaleur bienveillante nous entoure. Posées sur l'établi, d'étranges assemblages attendent leur passage au feu. Il s'agit des trousses, ou associations de lames d'acier, solidarisés par des pointes de soudure manuelle. Ce bloc composite caractérisé par une alternance d'aciers doux et d'aciers durs formera la lame du couteau que nous allons fabriquer. Le tranchant sera tout naturellement composé de l'acier dur tandis que l'alliage permet de rendre la lame particulièrement résistante. Mais l'intérêt ne réside pas seulement dans les propriétés mécaniques de l'objet. Cette technique, connue sous le nom d'acier damassé (en provenance de Damas ou en rapport avec les motifs caractéristiques des toiles de Damas), permet la confection de lames particulièrement belles puisqu'elles font apparaître des motifs très esthétiques sur les flancs de la lame, de par la présence d'aciers de natures différentes.



La trousse est donc placée au feu grâce à un manche qui lui a été soudé. Après avoir été portée au rouge, la trousse est alternativement plongée dans du borax, poudre blanche qui en brulant protège l'acier contre l'oxydation. Au contact de la chaleur, la température dépassant largement les 1000°C, l'acier se transforme, tendant à devenir pâteux. Rapidement, les atomes se mettent à migrer à l'interface des plaques et ce sur de très courtes distances. Mais le processus de soudage est désormais enclenché. Lorsque les flammes se mettent à cracher les petites étoiles de feu caractéristiques, il est temps d'ôter la trousse de la forge et de la marteler au contact de l'enclume. La première frappe expulse les croutes de borax qui se sont formées tout autour de la pièce, expédiant dans l'entourage de l'enclume des postillons rougeoyants. Le martellement provoque une migration des atomes sur de plus grandes distances, obligeant les diverses couches du composite à ne plus faire qu'une. La soudure devient rapidement effective. La trousse n'est plus constituée que d'un seul bloc, lequel comprend toujours une alternance d'aciers de natures différentes. Mais l'homogénéisation est en marche. A force de passages au feu et de pressages, allant du rouge à l'orange, en passant par le blanc, le bloc est en effet homogénéisé dans sa composition. Pour accentuer la variété de formes que l'on pourra faire apparaître plus tard, le repliage consiste à allonger la pièce avant de la replier sur elle-même et de forger ce nouveau bloc de matière.

Ce n'est qu'au prix de nombreux chauffages et forgeages que la future lame est enfin trempée dans une solution aqueuse, figeant définitivement la forme de celle-ci. Vient ensuite l'étape du polissage et de la révélation des motifs damassés grâce à une attaque acide qui aura tendance à noircir l'acier pur et à laisser neutre le reste, à l'origine des motifs caractéristiques de l'acier damassé.

La masse de connaissance de Grzegorz m'a une fois de plus stupéfait. Doté d'une curiosité insatiable, d'un talent inné et d'un esprit analytique aiguisé, son travail se base sur des sources bibliographiques scientifiques et techniques, ne laissant aucun détail de côté. Il parvient donc à faire revivre depuis son atelier magique des techniques anciennes, confectionnant des produits de qualité et dont la plus grande valeur réside, à mon sens, dans l'amour et la passion qu'il place dans son travail. L'amour du travail bien fait, la fierté de l'oeuvre personnelle.


Site officiel de Grzegorz Gurgul


Article publié le 25 mars 2013.